samedi 28 décembre 2013

En 1946, l’académicien Edmond Jaloux donne des nouvelles de la surréalité




Maurice Martin du Gard a tracé de lui dans ses Mémorables le portrait suivant : « Edmond Jaloux est un Monsieur avec une canne de lapis-lazuli paisible, un bourgeois, l’air d’un médecin, plutôt suisse que de Marseille où il est né, de Provençaux. Dans l’abord, une sorte d’enjouement sceptique et aristocratique que lui ajouta une société de femmes sensibles et titrées, délicieuses, où il pénétra d’emblée, par un concours heureux, en arrivant sur le tard à Paris. »


 
 
 
SOURCE : LE TEMPS samedi 28 décembre 2013 (http://www.letemps.ch)
 
 

 
A l’occasion d’une exposition du Centre Pompidou consacrée au rapport du surréalisme aux objets, nous sommes allés voir ce que la «Gazette de Lausanne» pensait du surréalisme au sortir de la Seconde Guerre mondiale, en 1946.
 
 
«A mesure que l’on s’efforce de retrouver une Europe sous les décombres accumulés par la guerre, on revoit peu à peu reparaître diverses structures sociales, monumentales ou intellectuelles que l’on croyait à jamais détruites. Peut-on dire que le surréalisme constitue une structure? Oui, comme tout système poétique. Mais pareille expression aurait bien choqué les promoteurs de ce mouvement, s’ils avaient pensé qu’on pût le qualifier ainsi, vingt-deux ans après ses premières manifestations.
On se souvient de la fameuse dépêche, expédiée par Paul Alexis à Jules Huret, quand celui-ci fit, vers 1895, cette grande enquête sur la littérature qui eut un tel succès qu’elle n’est pas encore oubliée: «Naturalisme pas mort; lettre suit.» De même, André Breton, dans un discours aux étudiants français de Yale, qui a l’air d’un mandement, affirmait récemment la durée du surréalisme: «N’en déplaise à quelques impatients fossoyeurs, leur disait-il, je prétends en savoir plus long qu’eux sur ce qui pourrait signifier au surréalisme son heure dernière: ce serait la naissance d’un mouvement plus émancipateur. Un tel mouvement, de par la force dynamique même que nous continuons à placer au-dessus de tout, mes meilleurs amis et moi nous tiendrions à honneur, du reste, de nous y rallier aussitôt. Il faut croire que le nouveau mouvement n’a pas été, n’est pas encore…»
Je vois que cette phrase est ambiguë; car l’émancipation n’est point la particularité du surréalisme et un mouvement émancipateur et dynamique pourrait bien renvoyer celui-ci au rang des vieilles lunes de la poésie: cela arrivera fatalement un jour ou l’autre, mais je crois cependant avec André Breton que ce jour n’est pas venu: je dirai même que le surréalisme est loin d’avoir donné tout ce qu’il promettait; il ne le donnera peut-être que dans dix ou vingt ans – ou qui sait? Jamais.
Ce qui a manqué le plus aux surréalistes, c’est l’esprit critique. Ils ont toujours agi d’après le mode passionnel. Je ne dis pas qu’ils soient privés du désir de critiquer; loin de là; mais ils admettent ou repoussent les mêmes gens ou les mêmes idées, alternativement, d’après des lois qui relèvent en général de la pure impulsion. Pour nous qui ne sommes pas dans le jeu, nous ne pouvons mettre sur le même plan des créateurs ou des poètes de la plus grande originalité; qui ont inventé véritablement un style nouveau et de nouveaux rapports entre les hommes et lui-même et l’homme et ce qui l’entoure – et des gâcheurs systématiques, qui ont réduit la forme lyrique à un émiettement puéril de vocables dans la négation absolue de toute syntaxe et de toute visibilité. Le surréalisme authentique traîne derrière lui cette lourde hypothèque du vieil esprit «dada», plus démodé déjà que les pires cygnes du symbolisme et les nacelles submergées du romantisme déclinant. »




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