lundi 25 novembre 2013

ROBERT RAUSCHENBERG (1925-2008) IV

 
 
 
ROBERT RAUSCHENBERG-vers 1952  Untitled (Hotel Bilbao)
 
 

 
ROBERT RAUSCHENBERG-1959 CANYON
 
 

 
ROBERT RAUSCHENBERG-1959 CANYON
 
 
"Canyon est une des plus célèbres "combine paintings" de Robert Rauschenberg (1925-2008), maître et précurseur du Pop art américain. Souvent exposé et reproduit, il  est de ceux qui lui valurent en 1964, le premier prix de la biennale de Venise. Et ce prix signifia au monde que la suprématie sur le marché de l'art venait d'être ravie à la France par les USA...(était pressenti Roger Bissière, précurseur également...mais de la deuxième Ecole de Paris "abstraite"...).
 
Le tableau a donc doublement valeur de symbole aux Etats Unis puisque l'aigle chauve qui sort littéralement du tableau est aussi le symbole du pays. Mais que pèse et que contient ce paquet prêt à être largué (au Vietnam ou sur Cuba?) au coin le plus lourd du tableau? Oiseau lesté de symboles, cet authentique aigle naturalisé témoigne aussi  de l'irruption de l'objet "réel" dans l’œuvre d'art, pratique artistique nouvelle alors et généralisée depuis par le Pop art américain et le Nouveau réalisme français.
 
"Canyon" a été réalisé en 1959. Mais le rapace étant menacé de disparition, le "Bald and Golden Eagle Protection Act", avait interdit,  dès 1940, de " capturer, posséder, vendre, acheter ", mais aussi de " transporter, exporter ces oiseaux, y compris leurs œufs. Et pas même sous forme d’œuvre d'art", nous apprend le 2 mai un article du Monde (Harry Bellet: " L'aigle de Rauschenberg plumé par les agents du fisc", à qui j'emprunterai les passages en italique).
 
 L'actualité est parfois fabuleuse et d'aucuns y chercheront la morale (de la fable?) ... Il s'agit de rapaces, d'art et d'argent... Je reprend donc ce récit qui court, de plume en plume, (Harry Bellet l'a lui même repris de la revue Artnew), pour participer un peu, moi aussi à l'édification d'une légende.
 
Donc, il était une fois un tableau fétiche de l'art contemporain qui appartenait à la  galeriste new-yorkaise Ileana Sonnabend. Il avait beaucoup voyagé jusqu'à cette fatidique année 1981, quand les autorités américaines de protection de la nature s'inquiétèrent de l'aigle chauve... Aigle et tableau se trouvèrent alors frappés d'interdiction de sortie du territoire. La valeur du tableau compta désormais pour rien. (et ce rien était tout pour la galeriste propriétaire!). Ileana Sonabend eut beau dire et beau faire, l'aigle ne s'envola plus, et  elle n'eût désormais d'autre choix que de prêter le tableau aux musées américains (Baltimore jusqu'en 2003 puis le Metropolitan de New-York où il est encore).
 
R.R. lui-même ne parvint pas à faire lever l'interdit: "Robert Rauschenberg en personne fournit un certificat, témoignant qu'il tenait l'oiseau d'un voisin, qui se l'était lui-même procuré auprès d'un ancien combattant des célèbres " Rough Riders ", qui accompagnaient Teddy Roosevelt dans ses charges de cavalerie. Ileana Sonnabend fut donc confirmée dans ses droits de propriétaire puis, plus que nonagénaire, s'éteignit paisiblement en 2007.
 
Avec la succession de la galeriste et la chute de l'histoire, Harry Bellet  suggère la morale de la fable; je le laisse donc conclure:
 
Comme elle était une des plus grandes galeristes de son temps, l'héritage fut conséquent, et les droits afférents aussi. Ses héritiers se retrouvèrent à la tête d'une collection évaluée à un milliard de dollars. Ils en vendirent donc une bonne partie, pour payer les frais de succession, qu'Eileen Kinsella, auteur de l'article de Artnews, évalue à 331 millions de dollars.
Sauf l'aigle : puisque légalement invendable, il fut estimé à zéro. Or, les agents du fisc américain ne sont pas moins tenaces que ceux de la protection de la nature. Se fondant sur la valeur d'autres œuvres de même importance, leurs experts ont estimé Canyon à 65 millions de dollars. Et réclament aux héritiers 29,2 millions de taxes supplémentaires, plus une amende de 11,7 millions de dollars. S'ils ne payent pas, ils risquent la prison. S'ils vendent l’œuvre pour régler leur dû, aussi.
 
Certes, mais soyons assurés que la vraie conclusion de cette belle histoire de rapaces prendra un temps certain pour advenir. Elle devrait être  aussi édifiante qu'exemplaire. Nous attendrons."
 
 
Philippe Rillon.
 
 
 
 
 
 

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