dimanche 15 septembre 2013

"Portes du désert" ALAIN JOUFFROY

 
 
Sud marocain
 
 
Portes du désert

Alain Jouffroy

démarrer à l’acide...
passer de l’autre côté des barrières grises
traverser et suivre les pistes du désert de sel
franchir le blanc laiteux du vide
se jeter à l’horizon surcaché de l’horizon
allumer l’incendie au milieu d’un vent de sable
rire aux larmes de cet incendie
s’envelopper de l’orage de Newton des Bédouines
se marquer jusqu’à l’os de l’empreinte de plusieurs soleils
monter monter toujours plus haut vers le Sud de la pensée
agrandir l’espace du voyage par l’espace de l’acceptation
gagner le large accessible de la joie
et puis, à petits pas, s’approcher des portes silencieuses
s’approcher du rose et du noir de la première porte
longer le mur saumon et blanc à contre-jour
reculer devant les façades craquelées par le sourire
reconnaître la rigueur d’un oeil bleu faïence
y plonger comme un pêcheur de mirages
et n’en ramener que l’éblouissement des archanges
quelles portes et sur quel crépuscule
quels tableaux et sur quelle aube
les couleurs redescendent enfin sur la terre
elles sont là comme le signe de l’accueil la bienvenue de l'extrémisme
personne ne les confond avec rien d’autre
portes du désert portes bleu lavande et vert pomme
portes chargées d’étoiles
aucun peintre ne vous a inventées
c’est vous, hommes du désert, qui réinventez la peinture,
la plus implacable, la plus douce peinture du monde.

Alain Jouffroy in C'est aujourd'hui toujours (1947 - 1998) © Éditions GALLIMARD

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