samedi 2 mars 2013

MANIFESTE DU SURREALIME-ANDRE BRETON 1924 VIII

ANDRE BRETON (ANONYME)

Composition surréaliste écrite, ou premier et dernier jet
Faites-vous apporter de quoi écrire, après vous être établi en un lieu aussi favorable que possible à la concentration de votre esprit sur lui-même. Placez-vous dans l’état le plus passif, ou réceptif, que vous pourrez. Faites abstraction de votre génie, de vos talents et de ceux de tous les autres. Dites-vous bien que la littérature est un des plus tristes chemins qui mènent à tout. Écrivez vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas retenir et ne pas être tenté de vous relire. La première phrase viendra toute seule, tant il est vrai qu’à chaque seconde il est une phrase, étrangère à notre pensée consciente, qui ne demande qu’à s’extérioriser. Il est assez difficile de se prononcer sur le cas de la phrase suivante ; elle participe sans doute à la fois de notre activité consciente et de l’autre, si l’on admet que le fait d’avoir écrit la première entraîne un minimum de perception. Peu doit vous importer, d’ailleurs ; c’est en cela que réside, pour la plus grande part, l’intérêt du jeu surréaliste. Toujours est-il que la ponctuation s’oppose sans doute à la continuité absolue de la coulée qui nous occupe, bien qu’elle paraisse aussi nécessaire que la distribution des nœuds sur une corde vibrante Continuez autant qu’il vous plaira. Fiez-vous au caractère inépuisable du murmure. Si le silence menace de s’établir pour peu que vous ayez commis une faute : une faute, peut-on dire, d’inattention, rompez sans hésiter avec une ligne trop claire. À la suite du mot dont l’origine vous semble suspecte, posez une lettre quelconque, la lettre l par exemple, toujours la lettre l, et ramenez l’arbitraire en imposant cette lettre pour initiale au mot qui suivra.

Pour ne plus s'ennuyer en compagnie
C’est très difficile. N’y soyez pour personne, et parfois lorsque nul n’a forcé la consigne, vous interrompant en pleine activité surréaliste et vous croisant les bras, dites : « C’est égal, il y a sans doute mieux à faire ou à ne pas faire. L’intérêt de la vie ne se soutient pas. Simplicité, ce qui se passe en moi m’est encore importun ! » ou toute autre banalité révoltante.

Pour faire des discours
Se faire inscrire la veille des élections, dans le premier pays qui jugera bon de procéder à ce genre de consultations. Chacun a en soi l’étoffe d’un orateur : les pagnes multicolores, la verroterie des mots. Par le surréalisme il surprendra dans sa pauvreté le désespoir. Un soir sur une estrade, à lui seul il dépècera le ciel éternel, cette Peau de l’Ours. Il promettra tant que tenir si peu que ce soit consternerait. Il donnera aux revendications de tout un peuple un tour partiel et dérisoire. Il fera communier les plus irréductibles adversaires en un désir secret, qui sautera les patries. Et à cela il parviendra rien qu’en se laissant soulever par la parole immense qui fond en pitié et roule en haine. Incapable de défaillance, il jouera sur le velours de toutes les défaillances. Il sera vraiment élu et les plus douces femmes l’aimeront avec violence.

Pour écrire de faux romans
Qui que vous soyez, si le cœur vous en dit, vous ferez brûler quelques feuilles de laurier et, sans vouloir entretenir ce maigre feu, vous commencerez à écrire un roman. Le surréalisme vous le permettra ; vous n’aurez qu’à mettre l’aiguille de « Beau fixe » sur « Action » et le tour sera joué. Voici des personnages d’allures assez disparates : leurs noms dans votre écriture sont une question de majuscules et ils se comporteront avec la même aisance envers les verbes actifs que le pronom impersonnel il envers des mots comme : pleut, y a, faut, etc. Ils les commanderont, pour ainsi dire et, là où l’observation, la réflexion et les facultés de généralisation ne vous auront été d’aucun secours, soyez sûr qu’ils vous feront prêter mille intentions que vous n’avez pas eues. Ainsi pourvus d’un petit nombre de caractéristiques physiques et morales, ces êtres qui en vérité vous doivent si peu ne se départiront plus d’une certaine ligne de conduite dont vous n’avez pas à vous occuper. Il en résultera une intrigue plus ou moins savante en apparence, justifiant point par point ce dénouement émouvant ou rassurant dont vous n’avez cure. Votre faux roman simulera à merveille un roman véritable ; vous serez riche et l’on s’accordera à reconnaître que vous avez « quelque chose dans le ventre », puisque aussi bien c’est là que ce quelque chose se tient.

Bien entendu, par un procédé analogue, et à condition d’ignorer ce dont vous rendrez compte, vous pourrez vous adonner avec succès à la fausse critique.

Pour se bien faire voir d'une femme qui passe dans la rue
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire